mardi 11 février 2014

Un temps à souris



Il y eut beaucoup de souris grises cet automne. 
Ce qui me déçut franchement, parce que j'attendais des blanches. 
Je regardais le journal télévisé avec un vague espoir en suçant les dernières glaces du congélo mais le présentateur ne promettait rien. Il souriait en montrant toute sa dentition et il faisait des vannes débiles qui me faisaient pleurer.






Heureusement tu as bien fini par te réveiller. Tu as quitté la salle de bain, nue comme un joli vers. J'ai trouvé ça gênant. Parce que tu savais bien que l'escalier il était recouvert de poussière, et tes petits pieds ils étaient tout noirs sur le canapé blanc. T'as dit qu'il faisait froid, que c'était pas un temps à sucer des glaces comme ça, qui rendent si malheureux. 







Je t'ai répondu que c'était un temps à souris grises, alors les glaces, c'était nécessaire, et si tu me trouvais trop gros, je veux dire, sans finesse et sans tact, tu pouvais partir. T'as opiné. J'ai cru que t'étais plus fâchée quand tu t'es approchée et que tu as déboutonné ma chemise, avec la douceur émue que tu mets dans chaque geste. Mais tu t'es contentée de prendre ma chemise pour sortir, pour claquer la porte. Ma chemise blanche ! Dans la rue, par un temps de souris grises...  

J'ai attendu, en zappant les chaines de télé.

J'avais froid.


Je t'ai retrouvée au bar, tu parlais avec un charmant jeune homme. Le plus drôle - ou le plus triste - c'est que je l'ai reconnu à ses blagues qui font pleurer, et même pas à sa tête de présentateur. Faut croire que le petit écran, il vous montre jamais toute la vérité. Parce qu'il était tout gris en fait, avec des fossettes qui tombent et qui le laissent en plan. Alors moi tu sais, j'ai pas trop réfléchi, je mis mon poing, sur sa sale petite gueule qui était plus grande que ma minuscule télé. Je t'ai ramenée de force à la maison, t'as pas dit grand chose parce que t'as jamais été bavarde comme nana.

T'es remontée barboter dans ta baignoire rouge en fixant le vide, pensant sûrement que la vie est injuste et qu'elle va de travers et patati et patata sans penser que peut-être c'était nous qui allions de travers et que la vie elle faisait ce qu'elle pouvait avec nous. 

J'ai regardé le JT. 




Ils avaient viré le présentateur parce qu'il lui manquait une dent de devant. 
Ta souris blanche est descendue, le poil rouge et mouillé. 
" Tu t'es baigné avec Jo, hein ?" je lui ai demandé. Et puis je lui ai donné un grand coup de pied dedans pour pas qu'elle mette du sang sur mon canapé. D'façon, c'était un temps à souris grises, un temps d'automne avec rien à faire dans l'immédiat. Si. Appeler les pompiers peut-être. 


Cette fois encore, dis Jo ? On se dit adieu pour de bon ou on est reparti pour un nouveau tour de manège ? Je prends une pièce et je fais à pile ou face, ok, comme quand on était gosse. Pile, je dirais que je ne savais pas que t'étais remontée dans ton bain de fin du monde, Face, j'appelle. C'est un jeu, en fait. Un peu comme les roues des souris. Je lance, hein... Pile.






" Allô, bonjour monsieur, vous avez demandé les pompiers ?
- J'ai triché, j'avais dit pile, j'appelais pas. En fait, c'est un temps à souris rouges, et pour répondre au téléphone ce qui est bien, c'est que vous avez pas besoin d'avoir toutes vos dents. Vous savez pas ? Sinon, y a deux personnes qui se sont ouvert les veines dans ma baignoire en haut. L'adresse ? Attendez, je vous la donne, vous notez ? "

Je suis monté te rejoindre. Les pompiers, ils arrivent toujours à temps, et moi, je suis un gamin qui veut toujours un nouveau tour de manège, mais c'est pour l'adrénaline tu sais, savoir si tu vas avoir un coup de chance ou si t'es vraiment foutu.



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Illustrations pour une nouvelle.
Acrylique.
2011


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